jeudi 22 janvier 2015

la havane


















La Havane, années 40-50: la pègre, les casinos, la prostitution, tous les vices refoulés de l'Amérique puritaine s'y donnent rendez-vous. Bilan: bientôt 60 ans de convalescence.
Janvier 2015, sur le "malecon" la vitrine en ruine de la ville face à la mer élastique rongeant puis se rétractant, nerveuse, comme mue par un besoin de sortir d'elle même, un territoire conquérant.
Je pense aux Etats-unis tout proche et à Obama qui vient d'annoncer la levée de l'embargo sur l'île.
J'ai dû être cubain dans une vie antérieure. Je ne suis pas chez moi, et je suis même bien déconnecté puisque il n'y a pas d' internet à cuba; immergé donc et pourtant un peu chez moi, en moi, disons que je me laisserais bien pousser les racines . Cuba, ça touche une corde sensible, j'en ai encore quelques unes , en espèce de guitare injouable. Ca me ramène vers des rêves oubliés, une pureté, une chaleur originelle.

Cuba c'est l'école buissonnière à l'échelle d'un pays, un souvenir qui nous a rattrapé, la vie sans forcer et pourtant la vie dans son essence même. Le cubain c'est un flic en skate-board, un curé qui pose en fumant en soutane et baskets, La Havane, un concours de jeunesse sur trois générations.
La salsa, le rhum, les vieilles voitures américaines des années 50, mais aussi un niveau d'éducation élevé et un très faible taux d'analphabétisme: d'après mes rapides calculs et du point de vue éducation un cubain = trois touristes si l'on considère le profil moyen du touriste à cuba.
Sur l'échelle de richesse, ce serait plutôt dix cubains pour un touriste... le monde à l'envers.
Etre suffisamment bien éduqué pour comprendre qu'on est injustement plus pauvre que le plus abruti des touristes, sacrée ironie du sort. Je dis abruti mais je ne le pense pas, ce que je pense c'est bien pire parfois. Bon, c'est vrai que je les survole et prends soin d'en éviter certains au fond de moi quand je les croise dans l'avion. La promiscuité de l'avion ça animalise, la quantité, la qualité tout ça...ça fait pas bon ménage. Ceci dit quand même , pour ceux-là il me semble comprendre que le voyage commence à la vodka quelque-part en Europe et qu'il s'agit de ne plus dessaouler jusqu'au mojito d'une terrasse de La Havane ou de l'aéroport même pour les plus gaillards. On en vient à se demander si le voyage n'a pas commencé par du surplace quelques jours, quelques mois voir quelques années avant le départ...bref une fête en solo permanente. Aller si loin pour voir si peu.

Ici à Cuba pas besoin d'alcool, je veux dire qu'un charme naturel émane de la population: les femmes sont féminines et séductrices (probablement leur meilleur atout dans ce monde d'hommes) et les hommes réceptifs et bon public (Ah, c'est partout ça?).
La nature donc. Plus décomplexée peut-être.
Climat aidant, et aussi parce que le cubain n'est pas propriétaire de son toit, tout se passe dans la rue.
Là c'est alors théâtre permanent, démonstration de force. Des policières en bas résille clope au bec jouant avec leur sifflet, des ados torse nu qui font la course en vélo avec un bus sur une trois voies, des mamies en claquettes et casquette qui t'aguichent de l'autre côté de la rue "tirame una mi amor" (en gros "prends moi en photo mon lapin") . Une crise d'adolescence qui ne veut plus s'arrêter.
Les havanais s'assoient sur le trottoir comme pour se créer un petit chez soi provisoire , regarder les gens défiler dans ce décor de film, de musée squatté. Ils semblent tous se connaître, se comprendre, insulaires qu'ils sont, embarqués dans la même histoire, un truc d'insulaires sûrement: il y a eux et nous qui ne pouvons pas nous mettre à leur place.
Le cubain il a rien mais il frime, à lui il reste cette humanité de l'homme à nu qui ne peut plus se cacher. Pour le quotidien ils n'ont que l'essentiel dans la plupart des cas, pas de quoi se mentir ou se perdre: accès à l'éducation, aux soins et à une nourriture basique. Pour le reste, une âme et de l'imagination...ils font de l'or avec du vent. Tous mécanos, tous musiciens. T'as des ciseaux t'es coiffeur, t'as une voiture t'es taxi.
Un médecin gagne presque autant qu'un coiffeur d'ailleurs. Pourquoi médecin alors?  Parce qu'il a loupé ses études de coiffeur? Non, médecin par vocation. Chercher à s'enrichir chez nous c'est de l'allégeance au système , là-bas c'est une fronde.
Les cubains n'ont pas le droit...pourtant ils s'autorisent tout .

J'essaie d'oublier la carte postale, petit présompteux que je suis, le buenavista social club, la voiture américaine rutilante, le révolutionnaire qui y croit encore, le vieux qui gagne sa vie à poser sur une marche le barreau de chaise aux lèvres. Non, mes photos je veux aller les chercher , je veux pas qu'elles me sautent dessus. Et puis à vrai dire derrière les clichés, tu comprends qu' à La Havane y'a surtout des policiers qui savent que la révolution est mal en point , qui font semblant de la défendre et font en sorte que la population fasse semblant d'y croire.
Ceci dit, elle a tenu la révolution, par la force mais elle a tenu et a isolé le pays en le transformant réellement.
C'est aujourd'hui devenu le principal atout touristique du pays, à l'écart de la mondialisation. Il y a même un "museo de la revolucion", sa casquette du "che", ses chemises ensanglantées des révolutionnaires de la première heure (qui fut aussi leur dernière à eux)...pas d'américain empaillé par contre. On y va comme on inviterait notre grand-mère à danser un charleston pour lui faire plaisir sans connaître les pas mais en l'écoutant nous raconter combien c'était mieux avant, " on n'avait rien mais on y croyait", "y' avait qu'une chaîne de télé et on était contents", "on a eu le choix, Castro il a dit: t'es content ou tu t'en vas!". Ah oui il a été cool...

Finalement , le bonheur c'est simple , faut qu'on te l'impose, faut pas voir ailleurs.
Cuba est en passe de retrouver la vue, quant à la suite...il faut voir , mais espèrons aussi qu'elle ne perde pas le reste, ce qui la rend unique et si belle.